Freispruch im Fall "Piep-Lagaffe" (Vogelgrippe)
Jugement civil no. 308 / 2005 - ( XIe. chambre )
Audience publique du vendredi vingt-trois décembre deux mille cinq
Numéro 86 626 du rôle
Composition:
Pierre CALMES, Vice-président,
Marie-Anne MEYERS, juge,
Carole BESCH, juge,
Alix GOEDERT, greffière.
ENTRE
Gaston VOGEL, avocat à la Cour, demeurant à L-1016 Luxembourg, 74, Grand-rue,
partie demanderesse aux termes d’un exploit d’assignation de l’huissier de justice Roland FUNK de Luxembourg du 16 février 2004,
comparant par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,
ET
la société coopérative DEN NEIE FEIERKROP, établie et ayant son siège social à L-1129 Luxembourg, 38, rue des Anémones, représentée par ses organes statutaires actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 45 510,
partie défenderesse aux fins du prédit exploit Roland FUNK,
comparant par Maître Rosario GRASSO, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg.
LE TRIBUNAL
Ouï Gaston Vogel, par l’organe de son mandataire Maître Lydie Lorang, avocat constitué, demeurant à Luxembourg.
Ouï la société coopérative Den Neie Feierkrop, par l’organe de son mandataire Maître Rosario Grasso, avocat constitué, demeurant à Luxembourg.
Vu l’ordonnance de clôture de l’instruction du 16 novembre 2005.
Par exploit de l’huissier de justice Roland Funk du 16 février 2004, Gaston Vogel a fait donner assignation à la société coopérative Den Neie Feierkrop à comparaître dans les délais légaux devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, pour s’y entendre condamner à payer au demandeur la somme de 50.000.- € à titre de dommages et intérêts moraux pour avoir publié deux photos du requérant dans son édition du 6 février 2004 et pour l’avoir affublé d’un nom fantaisiste dans un but d’humiliation et de vexation, pour y voir interdire à la défenderesse de publier à l’avenir l’image du demandeur et de déformer son nom sous peine d’une astreinte pour chaque récidive et pour y voir ordonner la publication du présent jugement pour le cas où la responsabilité de la défenderesse serait reconnue.
Les faits :
Le requérant fait exposer que dans son édition du 6 février 2004 le défendeur Den Neie Feierkrop (ci-après DNF) a publié deux articles le concernant, le premier étant intitulé « Achtung Vogelgrippe », accompagné d’une photo du requérant dans laquelle par photomontage ses yeux avaient été remplacés par des spirales et le deuxième intitulé « vor unseren geistigen Augen, werter Maître Gaston Piep-Lagaffe » accompagné d’une deuxième photo du requérant. Le requérant affirme que ces photos ont été publiées sans son accord. Il reproche encore au défendeur de l’avoir affublé pour la nième fois du « nom idiot et vexatoire » de « Me Gaston Piep Lagaffe » qui serait de nature à l’exposer au mépris et au ridicule et qui posséderait un caractère injurieux.
En droit :
Le requérant demande la condamnation du défendeur au paiement de dommages et intérêts moraux pour le préjudice ainsi subi. Il base sa demande sur les articles 1382 et 1383 du code civil, ainsi que sur l’article 1ier de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée.
Le requérant affirme plus particulièrement que le DNF ne serait pas à considérer comme journal satirique et que par ailleurs, depuis la décision du 24 juin 2004 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Von Hannover c/ Allemagne, le droit au respect de la vie privée a une valeur supérieure à la liberté d’information.
C’est à juste titre que le défendeur ne conteste pas le principe de la demande adverse pour autant qu’elle est basée sur les articles 1382 et 1383 du code civil et pour autant que l’ingérence de l’autorité judiciaire que le demandeur sollicite sur ces mêmes bases dans la liberté d’expression du DNF serait prévue par la loi.
L’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose en effet ce qui suit:
« toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.
(…..)
L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions et restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé et de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
Dans un arrêt du 20 mars 1997, Pas. 30, p. 387, la Cour de Cassation a souligné que « sous réserve de l’article 24, dernière phrase de la Constitution et de l’article 16 alinéa 2 de la loi du 20 juillet 1869 sur la presse, la portée des articles 1382 et 1383 du code civil n’est pas limitée en matière de presse, la qualification de la faute tenant compte, comme tous les autres domaines, des spécificités de l’activité du journaliste ».
La Cour d’appel dans un arrêt du 13.11.1989 a décidé que s’il est vrai que l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales garantit à son tour, dans son alinéa 1ier, le droit à la liberté d’expression, ce droit n’est pas absolu, l’alinéa 2 prévoyant qu’il peut être apporté par la loi nationale des Etats parties à cette convention à l’exercice de cette liberté certaines restrictions, dont celle devant assurer la protection de la réputation ou des droits d’autrui, et que cette dernière restriction à la liberté d’expression est assurée au Luxembourg par les articles 1382 et 1383 du code civil, « ces articles sanctionnant en effet le respect dû aux droits d’autrui et les mêmes articles s’appliquant en raison de la généralité de leurs termes en toutes matières et par conséquent aussi en celle des libertés fondamentales et plus particulièrement en celle de la liberté de la presse (Cour d’Appel, 13 novembre 1989, n° 9637 du rôle). » (cf. La Responsabilité Civile, par Georges Ravarani, n° 49).
A ce propos la Cour Européenne des Droits de l’Homme a décidé ce qui suit dans l’arrêt Thoma/Luxembourg du 29 mars 2001 :
« …La condamnation s’analyse sans conteste en une « ingérence » dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression (arrêt Lehideux et Isorni c. France du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, p. 2880, § 39).
La question se pose de savoir si pareille ingérence peut se justifier au regard du paragraphe 2 de l’article 10. Il y a donc lieu d’examiner si cette ingérence était « prévue par la loi», visait un but légitime en vertu de ce paragraphe et était « nécessaire dans une société démocratique» (arrêt Lingens précité, pp. 24-25, §§ 34-37).
La Cour constate que les articles 1382 et 1383 du code civil posent les principes de la responsabilité pour faute et que la jurisprudence luxembourgeoise applique ces dispositions aux journalistes. La Cour note encore que l’article 18 de la loi sur la presse de 1869 prévoit que « nul ne pourra alléguer comme moyen d’excuse ou de justification que les écrits, imprimés, images ou emblèmes ne sont que la reproduction de publications faites dans le Grand-Duché ou en pays étranger ». La Cour estime en conséquence que, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, le requérant pouvait prévoir, à un degré raisonnable, que les propos diffusés au cours de son émission ne le mettaient pas à l’abri de toute action à son encontre, de sorte que l’ingérence peut être considérée comme étant « prévue par la loi » (arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni (n°1) du 26 avril 1979, série A n°30).
La Cour considère que les motifs invoqués par les juges luxembourgeois se concilient avec le but légitime de protéger la réputation et les droits ainsi que la présomption d’innocence des ingénieurs et gardes forestiers. Par conséquent, l’ingérence avait pour but de protéger « la réputation ou (les) droits d’autrui ».
Reste à rechercher si l’ingérence critiquée était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre pareil but, et donc à déterminer si elle correspondait à un besoin social impérieux, si elle était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs fournis par les autorités nationales pour la justifier sont pertinents et suffisants. » (cf. Morby/DNF, Trib. Arr. Lux. 10 juin 2004, n°80723 du rôle).
Il convient dès lors d’analyser en premier lieu au regard des articles 1382 et 1383 du code civil, si une quelconque faute est établie à charge du défendeur, si un préjudice a été subi par le demandeur et s’il existe un lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué.
Le requérant affirme dans un premier temps qu’il a un droit absolu sur son image et que sans son consentement aucune photo de lui ne pourrait être publiée. Il considère que le nom d’une personne, comme son droit à l’image, relève de la sphère de vie privée et profite de la même protection que celle-ci.
L’article 1ier de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée.
Le requérant base ses conclusions en grande partie sur l’arrêt rendu le 14 juin 2004 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Von Hannover c/ Allemagne en affirmant que cet arrêt fait pencher pour la première fois la balance vers une protection accrue des droits découlant de l’article 8 (respect de la vie privée ) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, en délimitant strictement les conditions dans lesquelles, l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme peut primer l’article 8 de ladite convention.
Afin d’éviter toute mauvaise interprétation de cette décision il convient avant toutes choses de rappeler les faits à la base de cette affaire en citant la motivation de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt du 14 juin 2004.
« 8. La Cour relève tout d’abord qu’en l’espèce les photos de la requérante parues dans les différents magazines allemands la représentent dans des scènes de sa vie quotidienne, donc dans des activités de nature purement privée, alors qu’elle fait du sport, qu’elle se promène, qu’elle sort au restaurant ou qu’elle se trouve en vacances. Ces photos, où la requérante apparaît tantôt seule, tantôt accompagnée, illustrent une série d’articles aux titres anodins comme « Du bonheur simple », « Caroline...une femme retourne à la vie », « Avec la princesse Caroline à Paris » ou « Le baiser. Ou : maintenant ils ne se cachent plus... » (paragraphes 11-17 ci-dessus).
9. La Cour note ensuite que la requérante, en tant que membre de la famille princière monégasque, joue un rôle de représentation lors de certaines manifestations culturelles ou de bienfaisance. Cependant, elle n’exerce aucune fonction au sein ou pour le compte de l’Etat monégasque ou de l’une de ses institutions (paragraphe 8 ci-dessus).
10. Or la Cour considère qu’il convient d’opérer une distinction fondamentale entre un reportage relatant des faits – même controversés – susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique, se rapportant à des personnalités politiques, dans l’exercice de leurs fonctions officielles par exemple, et un reportage sur les détails de la vie privée d’une personne qui, de surcroît, comme en l’espèce, ne remplit pas de telles fonctions. Si dans le premier cas la presse joue son rôle essentiel de « chien de garde » dans une démocratie en contribuant à « communiquer des idées et des informations sur des questions d’intérêt public » (Observer et Guardian précité, ibidem), il en va autrement dans le second cas.
11. De même, s’il existe un droit du public à être informé, droit essentiel dans une société démocratique qui, dans des circonstances particulières, peut même porter sur des aspects de la vie privée de personnes publiques, notamment lorsqu’il s’agit de personnalités politiques (Plon (Société) précité, ibidem), cela n’est pas le cas en l’espèce : en effet, celui -ci se situe en dehors de la sphère de tout débat politique ou public, car les photos publiées et les commentaires les accompagnant se rapportent exclusivement à des détails de la vie privée de la requérante.
12. Comme dans d’autres affaires similaires dont elle a eu à connaître, la Cour estime dès lors qu’en l’espèce la publication des photos et des articles litigieux, ayant eu pour seul objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie privée de la requérante, ne saurait passer pour contribuer à un quelconque débat d’intérêt général pour la société, malgré la notoriété de la requérante (voir, mutatis mutandis, Jaime Campmany y Diez de Revenga et Juan Luís Lopez-Galiacho Perona c. Espagne, (déc), no 54224/00, 12.12.2000, Julio Bou Gibert et El Hogar Y La Moda J.A. c. Espagne, (déc), no 14929/02, 13.05.2003, et Prisma Presse précitées).
13. Dans ces conditions, la liberté d’expression appelle une interprétation moins large (voir Prisma Presse précitées, et, a contrario, Krone Verlag précité, § 37).
14. A cet égard, la Cour tient également compte de la résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la protection du droit à la vie privée, qui souligne « l’interprétation unilatérale du droit à la liberté d’expression » par certains médias, dans la mesure où ils cherchent à justifier les atteintes au droit inscrit à l’article 8 de la Convention en considérant que « leurs lecteurs auraient le droit de tout savoir sur les personnes publiques » (paragraphe 42 ci-dessus, et Prisma Presse précitées).
15. Par ailleurs, un autre point paraît important aux yeux de la Cour : même si la présente requête ne porte stricto sensu que sur la publication des photos et des articles litigieux par différents magazines allemands, on ne saurait néanmoins faire totalement abstraction du contexte dans lequel ces photos ont été prises – à l’insu de la requérante et sans son consentement – et du harcèlement dont font l’objet nombre de personnes publiques dans leur vie quotidienne (paragraphe 59 ci-dessus).
En l’espèce, ce point est illustré de manière particulièrement frappante par les photos prises au « Beach Club » de Monte-Carlo, alors que la requérante trébuche sur un obstacle et tombe par terre (paragraphe 17 ci-dessus). Il apparaît en effet que ces photos avaient été prises de manière clandestine, à une distance de plusieurs centaines de mètres, probablement d’une maison avoisinante, alors que l’accès des journalistes et photographes à ce club était strictement réglementé (paragraphe 33 ci-dessus).
16. Or la Cour rappelle l’importance fondamentale que revêt la protection de la vie privée pour l’épanouissement de la personnalité de chacun, protection qui – comme elle l’a dit plus haut – va au-delà du cercle familial intime et comporte également une dimension sociale. Elle estime que toute personne, même connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée (paragraphe 51 ci-dessus, et, mutatis mutandis, Halford précité, § 45).
17. De plus, une vigilance accrue quant à la protection de la vie privée s’impose face aux progrès techniques d’enregistrement et de reproduction de données personnelles d’un individu (voir le point 5 de la résolution de l’Assemblée parlementaire sur la protection du droit à la vie privée - paragraphe 42 ci-dessus - et, mutatis mutandis, Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, §§ 65-67, CEDH 2000-II, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, §§ 43-44, CEDH 2000-V, P.G. et J. H. précité, §§ 57-60, et Peck précité, §§ 59-63, et § 78). Cela vaut également pour la réalisation systématique de photos déterminés et leur diffusion auprès d’un large public.
18. Enfin, la Cour rappelle que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 15-16, § 33).
(…..)
23. Comme elle l’a dit plus haut, la Cour considère que l’élément déterminant, lors de la mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression, doit résider dans la contribution que les photos et articles publiés apportent au débat d’intérêt général. Or force est de constater qu’en l’espèce cette contribution fait défaut, la requérante ne remplissant pas de fonctions officielles et les photos et articles litigieux se rapportant exclusivement à des détails de sa vie privée.
24. De plus, la Cour estime que le public n’a pas un intérêt légitime de savoir où la requérante se trouve et comment elle se comporte d’une manière générale dans sa vie privée, même si elle apparaît dans des lieux qu’on ne saurait toujours qualifiés d’isolés, et ce malgré sa notoriété.
Et même si cet intérêt du public existe, de même qu’un intérêt commercial des magazines publiant photos et articles, ces intérêts doivent, aux yeux de la Cour, s’effacer en l’espèce devant le droit de la requérante à la protection effective de sa vie privée.
25. Enfin, d’après la Cour, les critères définis par les juridictions internes n’étaient pas suffisants pour assurer une protection effective de la vie privée de la requérante, et cette dernière aurait dû bénéficier dans les circonstances de l’espèce d’une « espérance légitime » de protection de sa vie privée.
26. Eu égard à tous ces éléments, et malgré la marge d’appréciation dont l’Etat dispose en la matière, la Cour estime que les juridictions allemandes n’ont pas établi un juste équilibre entre les intérêts en présence.
27. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention ».
Il résulte de ce qui précède que dans cette espèce qu’il y a eu atteinte à la vie privée de la partie demanderesse qui n’était pas justifiée par la liberté d’expression et d’information telle qu’énoncée par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, étant donné que les photos et les articles litigieux n’ont apporté aucune contribution au débat d’intérêt général.
Il se pose cependant la question si la situation de Caroline de Monaco est comparable à celle de Gaston Vogel et si le contexte dans lequel ont été publiées les photos de Caroline de Monaco dans la « Bunte » est comparable à celui dans lequel ont été publiées les deux photos de Gaston Vogel dans l’édition du DNF du 6 février 2004.
Il convient de ne pas oublier que la présente affaire est basée sur le droit que chacun a au respect de sa vie privée. Il n’existe cependant pas de définition de la vie privée. A priori, la vie privée s’oppose à la vie publique. Toute personne doit pouvoir soustraire la première aux ingérences extérieures alors que, dans la seconde, elle s’expose à la curiosité de ses semblables. La vie privée s’oppose aussi à la vie professionnelle (cf. Encyclopédie Dalloz, Civil, verbo « personnalité », « Les Droits de la Personnalité » par Denis Tellon, n° 44 et n° 46).
Il est ainsi admis que les faits déjà portés à la connaissance du public, notamment par l’intéressé lui-même dans les publications ultérieures, ne sont pas reconnues comme faisant partie de la vie privée (op. cit. n° 59). Il est encore de principe que lorsqu’une personne publique se trouvant en un lieu public et en cette qualité, pouvant donc s’attendre à être photographiée (le souhaitant même), il n’est pas besoin d’autorisation pour publier les images ainsi prises (op. cit. n° 133).
Si Gaston Vogel choisit de se montrer à la télévision et dans la presse écrite pour prendre position sur des sujets intéressant la vie culturelle et politique, respectivement sa profession, il est en cela un homme public et il doit en assumer la conséquence nécessaire qui consiste à être connu du public. Les réactions bonnes ou mauvaises qu’il peut provoquer de ce chef ne concernent pas sa vie privée. Il est cependant incontestable que tout homme même public a droit à la protection de sa vie privée.
Il faut se rendre à l’évidence qu’en l’occurrence rien n’a été divulgué à propos de la vie privée de Gaston Vogel puisque, d’une part, les deux photos litigieuses ne montrent pas Gaston Vogel dans un contexte privée, ni dans une situation embarrassante et que, d’autre part, les photos étaient déjà connues du public pour avoir été publiées auparavant.
Il convient de déduire de ce qui précède que la situation de Gaston Vogel dans la présente affaire n’est pas comparable à celle de Caroline de Monaco envisagée dans l’arrêt du 14 juin 2004, puisqu’il n’y a eu aucune atteinte à la vie privée de Gaston Vogel.
Il s’agit d’analyser si le DNF dans cette affaire est comparable à la « Bunte » dans l’arrêt précité du 14 juin 2004.
Dans un arrêt du 5 mai 2004 et dans une affaire opposant Lex Roth à la défenderesse la Cour d’Appel a énoncé le principe qui suit :
« … La satire, écrit ou discours qui s’attaque à quelqu’un ou à quelque chose a, tout comme la caricature, toujours bénéficié d’une large tolérance. Elle jouit d’une liberté plus étendue que d’autres modes d’expression, l’outrance étant de l’essence même de la satire. Les explications principales de cette tolérance tiennent à l’utilité sociale du bouffon et au fait que le public ne peut se méprendre sur la portée d’un propos lorsque celui-ci est tenu dans l’unique but de faire rire. (voir note Christophe Bigot sous Cass. Fr. 2ième civ. 2 avril 1997 ; JCP G 1998 II 10 010). Il n’existe cependant pas d’impunité de principe pour l’humoriste et sa liberté d’expression doit respecter certaines limites. La satire n’autorise pas l’atteinte intolérable à la réputation, à la considération ou à l’honneur d’une personne, elle ne justifie pas l’outrage délibéré destiné exclusivement à ridiculiser ou déconsidérer la personne, ni l’atteinte à sa vie privée. »
S’il est de principe que les articles 1382 et 1383 du code civil s’appliquent aux journalistes et que la faute la plus légère, une simple imprudence, le plus léger manquement, suffisent pour engendrer la responsabilité de l’auteur et de l’éditeur qui ont manqué à leur obligation générale de prudence et de diligence, la satire bénéficie cependant d’une plus grande marge de sécurité. (cf. La Responsabilité civile par G. Ravarani, n° 49 et n° 52)
Gaston Vogel conteste que le DNF puisse être considéré comme un journal satirique parce que le DNF n’aurait pas pour but de faire rire mais uniquement de dénigrer.
Il n’appartient pas au tribunal de dire si le DNF est un bon journal satirique ou non. Il ne peut cependant pas faire de doute que le but recherché par le DNF est celui de faire rire, le cas échéant au détriment d’autrui, dans ses commentaires de l’actualité. Etant donné que l’article accompagnant la première photo du requérant où ses yeux ont été remplacés par des spirales, a trait à la « Vogelgrippe » et que l’article accompagnant la deuxième photo du requérant, ironise sur une interview accordée par le requérant à une journaliste du Tageblatt, le DNF, du moins en ce qui concerne ces deux articles, n’est pas à ranger dans la catégorie « presse à scandales » dont le but est de divulguer des détails plus ou moins embarrassants à propos de la vie privée des célébrités et c’est en cela qu’en l’occurrence le DNF se différencie de la « Bunte ».
Même une publication humoristique ne doit cependant pas se livrer à un outrage délibéré destiné exclusivement à ridiculiser ou déconsidérer la personne. Ainsi l’intention de nuire fait échec au droit à la satire. Par ailleurs le mode humoristique n’autorise pas à porter atteinte à la dignité humaine (cf. Christophe Bigot op. cit. page 188).
Le tribunal devra se prononcer sur la question de savoir si la publication par le DNF des deux photos de Gaston Vogel a été faite dans une intention de faire rire ou si au contraire cette publication avait pour but de dénigrer et de ridiculiser le requérant et si en réalité elle l’a dénigré et ridiculisé.
Il a été jugé que la publication est illicite lorsqu’elle est faite dans un esprit de dénigrement et dans le dessein de ridiculiser et de déconsidérer un homme politique au-delà de ce qui est tolérable même dans un journal satirique (aff. Le Pen c/ Canard, C.A. Paris 19 juin 1987, J.C.P. 1988, II, 20957, note P. Auvret) (cf. Encyclopédie Dalloz Civil, verbo personnalité, n° 133). Dans cette espèce Le Pen avait assigné le Canard Enchaîné en référé pour obtenir la saisie du journal parce que ce dernier avait publié une photo de lui, de dos en train de se déshabiller sur une plage, à côté d’un article intitulé « Rebondissement dans l’affaire Le Pen. Le fesse-à-fesse du couple infernal » en faisant allusion aux déboires conjugaux de Le Pen. La cour d’appel a retenu ce qui suit : « … il suffit de relever que les photographies qu’elle comporte et le texte qui les accompagne ont manifestement pour but dans le cadre de la présentation qui en est faite, de ridiculiser et de déconsidérer les personnes concernées par une publicité de nature à porter par là même une atteinte intolérable à la personne de l’appelant dont la photographie fait notamment l’objet d’un commentaire traduisant une volonté de dénigrement qui constitue – même dans un article satirique – un abus caractérisé. »
Dans sa note qui suit la publication de cette décision au JCP, Patrick Auvret, après avoir relevé que la satire et la caricature étaient légitimes lorsque les personnes mises en cause et dont l’opinion est notoirement connue a des activités publiques, critique la motivation de la Cour comme suit : « Les décisions de justice relèvent souvent que la satire, comme toute critique, doit être dépourvue d’animosité et d’intention de nuire. L’argument qui est déjà contestable en matière de critique, perd toute valeur lorsqu’il est appliqué à la satire. La volonté de faire rire l’opinion des travers d’autrui n’est pas la preuve d’une intention bienveillante. Croire le contraire est angélique. (…) Si l’on ne veut pas condamner le genre humoristique dans son ensemble ou l’édulcorer abusivement, il faut admettre que la dérision n’est pas en soi illicite. Affirmer, comme le fait la Cour de Paris que le but « de ridiculiser et de déconsidérer les personnes concernées par une publicité (est) de nature à porter par là même une atteinte intolérable … » est pour le moins une motivation insuffisante. Les magistrats auraient dû expliciter la nature de l’atteinte portée à la personne de Jean-Marie Le Pen. On préférera les motifs d’une décision antérieure de la même juridiction : « un photomontage et le texte l’accompagnant, qui ont un caractère à la fois obscène et outrageant, qui ont manifestement pour but de ridiculiser et de déconsidérer (la personne mise en cause) ». Dans ce cas la dérision, le manque de considération, résultaient de l’obscénité et de l’outrage. (…) « Pour ce qui est de la photographie, les choses sont un peu plus complexes. Il est admis que la reproduction d’un anonyme se laissant surprendre, en public, dans une posture ridicule n’a pas à être diffusée quelle que soit l’imprudence de la personne représentée. En revanche, M. Lindon estime qu’un personnage public saisi dans une attitude peu convenable lors d’une cérémonie officielle n’a pas à se plaindre de la diffusion de son image ». (…) « Cette opinion doit être approuvée. Les personnalités en cause acceptaient de livrer au public la représentation de leur image et de leur comportement au cours de diverses manifestations. »
Et l’auteur de conclure sur un aphorisme de Portalis :
« il ne faut pas se montrer trop facile à admettre les susceptibilités de l’homme, car s’il en était autrement, si les œuvres légères, les jeux d’esprit pouvaient devenir la matière d’une plainte, les tribunaux seraient sans cesse occupés à venger les fausses délicatesses de l’amour propre … un affreux arbitraire étoufferait l’opinion et détruirait la liberté ».
La satire et la caricature sont donc possibles à condition de ne pas constituer un abus.
En l’occurrence la photo de Gaston Vogel, sur laquelle ses yeux ont été remplacés par des spirales à côté de l’article intitulée « Achtung Vogelgrippe » constitue une plaisanterie anodine qui n’est pas de nature à porter le discrédit sur Gaston Vogel. Toute preuve d’un quelconque préjudice dans le chef du requérant fait d’ailleurs défaut. Il ne saurait être question d’un abus de DNF.
La deuxième photo de Gaston Vogel, publiée à côté de l’article « Vor unserem geistigen Auge, werter Maître Gaston Piep Lagaffe » n’a pas été déformée ou aliénée. Elle ne montre pas Gaston Vogel dans une situation embarrassante ni dans un contexte privé. Aucune intention de dénigrer Gaston Vogel n’en résulte et rien ne permet d’admettre que Gaston Vogel se soit réellement senti offensé par cette publication, alors surtout qu’il s’agit d’une photo qui avait déjà été publiée auparavant dans le Tageblatt. Le DNF était en droit de reproduire cette photo sans l’assentiment de Gaston Vogel. Par ailleurs, ce dernier est resté en défaut de prouver la réalité d’un quelconque préjudice.
A défaut pour le demandeur d’avoir établi une faute à charge du DNF et la réalité du préjudice allégué, la demande, qui a pour objet la réparation du préjudice subi par le requérant à la suite de ces publications, est à déclarer non fondée tant sur base des articles 1382 et 1383 du code civil, que sur base de l’article 1 de la loi du 11 août 1982 sans qu’il soit besoin de l’analyser autrement au regard des articles 8 et 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme.
Le requérant reproche encore au DNF de l’avoir affublé pour la nième fois du « nom ridicule et vexatoire de Me Gaston Piep-Lagaffe ». Le requérant affirme que le DNF aurait utilisé de façon répétée et récurrente ce nom fantaisiste pour le désigner, sans cependant énumérer un autre exemple que celui figurant dans l’édition du DNF du 6 février 2004. Le tribunal n’est dès lors pas en mesure d’apprécier si le requérant a le cas échéant fait l’objet de ce chef d’un acharnement abusif. Même si le requérant qualifie l’article dans lequel apparaît le nom de « Me Gaston Piep-Lagaffe » d’idiot, ce n’est pas le contenu de l’article en lui-même qui fait l’objet de l’assignation du 16 février 2004 dont est actuellement saisi le tribunal.
Le demandeur considère cependant que cette déformation de son nom a un caractère injurieux et est de nature à l’exposer au mépris et au ridicule.
Le DNF a l’habitude de déformer les noms de tous ceux qui y sont cités, y compris les auteurs des articles et c’est en cela que consiste son originalité. Eu égard aux développements qui précèdent, il y a lieu de dire que la déformation du nom du requérant, qui est un personnage connu du public, dans le cadre d’une publication satirique n’est pas fautive en soi. Elle ne devient fautive que si le nom telle que déformée est outrageusement méprisant et dépréciatif. Ainsi la Cour, dans un arrêt du 5 mai 2004, déjà cité précédemment, a décidé que la déformation répétée du nom de « Roth » en « Kot » avait un caractère injurieux. Ici, le requérant affirme que le rapprochement fait entre sa personne et le personnage de BD « Gaston Lagaffe » serait injurieux et aurait été fait dans le but de le dénigrer. Il convient cependant de constater que le DNF ne compare en rien le requérant au personnage de BD Gaston Lagaffe et n’insinue nulle part qu’ils se ressembleraient. On ne voit d’ailleurs pas quel rapprochement il y aurait à faire entre le requérant, qui est un avocat réputé de la place, et le personnage de Gaston Lagaffe, un doux rêveur, allergique au travail. Leur seul point commun est leur prénom. Le mot « Piep », qui, ici, ne désigne de toute évidence rien d’autre que le gazouillement émis par l’oiseau, intercalé entre « Gaston » et « Lagaffe » par le DNF n’a pour but que de faire le lien avec le nom patronymique du requérant. Pour reprendre les termes de Patrick Auvret, si la satire est rarement bienveillante, la dérision n’est pas fautive en soi. La déformation du nom du demandeur en « Gaston Piep-Lagaffe » n’est rien d’autre qu’un jeux de mots inoffensif qui n’a rien d’outrageusement méprisant et de dépréciatif.
Le requérant reste par ailleurs en défaut de prouver la réalité d’un quelconque préjudice. En l’absence de tout élément d’appréciation concret, rien ne permet en effet d’admettre que le requérant se soit senti réellement offensé par cette déformation de son nom.
En l’absence de toute preuve d’une faute du DNF et d’un préjudice dans le chef du requérant, cette demande est également à déclarer non fondée, tant sur base des articles 1382 et 1383 du code civil, que sur base de l’article 1ier de la loi du 11 août 1982, sans qu’il soit besoin de l’analyser autrement au regard des articles 8 et 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme.
PAR CES MOTIFS
le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, onzième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, le juge de mise en état entendu en son rapport oral;
vu l’ordonnance de clôture de l’instruction du 16 novembre 2005 ;
reçoit la demande;
la déclare cependant non fondée;
condamne Gaston Vogel à tous les frais et dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Rosario Grasso, qui la demande affirmant en avoir fait l’avance.