L'histoire du supplément Feierkrop est scindée en deux volets, de 1948 à 1950 et de 1984 à 1992.
1. Après la Seconde Guerre mondiale
Lorsque le premier numéro du Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek paraît le 1er juillet 1946, il est principalement conçu comme organe de propagande et d'agitation. Dans cette optique, un supplément satirique s'insère facilement dans le quotidien.
C'est ainsi que dans le numéro 204 du samedi 4 septembre 1948, la page 4 est scindée en deux par un mince filet horizontal. La moitié inférieure de la page est occupée par une nouvelle rubrique, De Feierkrôp. Le sous-titre précise : Satirisch Beiluecht vun der " Zeitung ".
Le choix de ce titre n'est pas le fruit du hasard, loin de là. Le mot Feierkrôp, terme tout à fait usuel d'ailleurs, ressemble beaucoup au titre d'une chanson patriotique (et populaire) intitulée Feierwôn. Pendant et surtout après la guerre, beaucoup de patriotes adoptent cette chanson qui devient leur étendard ; elle en garde une teinte sensiblement chauviniste.
C'est en réaction à cette chanson et surtout à ses connotations socio-politiques que le nom du supplément du Zeitung est choisi. Le terme 'tisonnier' illustre bien le rôle que le supplément est appelé à jouer : attiser, enflammer mais aussi brûler et faire mal.
La personne qui a, début 1948, l'idée du Feierkrôp s'appelle Jean Fonck. Rédacteur au Zeitung, c'est lui qui écrit presque tous les articles, textes ou poèmes qui paraissent dans le supplément. Le seul collaborateur qu'on connaisse encore aujourd'hui est Jehan Steichen, lui aussi rédacteur au Zeitung.
(...)
Le (...) 11 septembre 1948, le numéro 216 du Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek paraît avec son nouveau titre, une mise en page remodelée… et un Feierkrôp d'une page entière.
C'est dans cette édition que paraît pour la première fois le titre-logo avec le dessin du 'bonhomme au tisonnier' en colère ou en train de crier. (…)
A partir du numéro 60, l'espace occupé par les romans est repris par des dessins humoristiques, des histoire drôles et des blagues. Le supplément satirique ne semble plus avoir le succès de ses débuts. En une trentaine d'éditions, il est devenu une " simple " rubrique et non plus un supplément d'une page entière. Les longs poèmes du Rénert des numéros 59 à 66 ne vont pas empêcher la fin d'arriver.
Les raisons de ce 'déclin' sont multiples et aujourd'hui difficiles à cerner. Un public moins intéressé par cette forme d'écriture, un 'air du temps' moins intéressé par cette forme d'écriture, un 'air du temps' moins favorable (tant au supplément qu'au quotidien en général), des articles et textes moins inspirés sont autant de débuts d'explication.
Le 12 août 1950 paraît le 80e Feierkrôp, en page trois du numéro 185 du Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek. Quatre colonnes sur deux tiers de la hauteur de page, c'est l'espace occupé par le dernier Feierkrôp 'de la première génération'.
2. De 1984 à 1993
En 1984, un jeune journaliste du Lëtzebuerger Land, Jacques Drescher, quitte cet hebdomadaire pour rejoindre le Zeitung. Jusque là, il s'est occupé du supplément satirique du Lëtzebuerger Land, le Ländchen. Un différend de trop, notamment avec son rédacteur en chef, quant à la publication d'un article que ce dernier juge trop 'dur', le pousse à rejoindre le quotidien communiste.
2.1 La renaissance du Feierkrop
Désireux de continuer dans le style satirique, Jacques Drescher se voit proposer par les responsables du Zeitung de reprendre l'ancien Feierkrop et de le remettre au goût du jour. Après une courte hésitation, il accepte de reprendre le flambeau du supplément satirique.
Le premier numéro de la nouvelle version du Feierkrop paraît dans le Zeitung du vendredi 16 mars 1984, en page 11. (…)
La mise en page est égayée par de petits dessins caricaturaux représentant des abbés. (…) Une rubrique traite spécifiquement de politique nationale, elle est intitulée "Nôrichten aus der Châmber" (trad. Nouvelles de la Chambre des députés). " Aus dem Blätterwald " (trad : " De la forêt de feuilles") est le nom donné à la revue (des perles) de presse. A partir du numéro 105 (4 juillet 1986), cette rubrique s'appelle 'Erausgekroopt' (trad : 'choisi' - au sens de 'morceaux choisis' -, 'cueilli', 'pêché').
Le Feierkrop reste donc fidèle à l'usage luxembourgeois des mélanges de titres luxembourgeois et textes allemands. Ces titres sont très souvent criards, provocateurs, parfois même racoleurs.
L'éditorial " Man duldete uns als Hofnarren " (trad. : ‚On nous a tolérés comme bouffons de la cour') raconte ‚l'histoire' des cinq collaborateurs du Feierkrop qui, après une longue errance, ont finalement trouvé le chemin du Lëtzebuerger Land à la C.O.P.E.. Ces cinq personnages se nomment Godot, Viviane Muppeschnëss, Mulles Mubauz, Dr. Nicolas Ästchen et M. Yeti. C'est de ces pseudonymes que sont signés quasi tous les articles, textes ou poèmes qui paraissent dans le supplément satirique.
(…)
2.2 La fin du supplément
En 1992, la notoriété du Feierkrop n'est plus à faire. En moyenne, le Zeitung du vendredi se vend mieux que toutes les autres éditions de la semaine (…).
Lorsque le Feierkrop se met à attaquer ouvertement les 'ténors' du PCL, leur reprochant la gestion opaque et infructueuse de la C.O.P.E. et du parti, les dissensions commencent à éclater au grand jour.
Comme d'autres camarades avant lui, Jacques Drescher quitte le parti et en tire les conséquences : il arrête de collaborer au Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek et donc au Feierkrop.
Le dernier supplément satirique paraît dans le Zeitung du 23 juillet 1993, il porte le numéro 407.
Den Neie Feierkrop
Les débuts
Suite au départ de Jacques Drescher du Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek, le Feierkrop disparaît du paysage médiatique luxembourgeois. Mais seulement peu de temps après, Léon Claus et Heng Glaesener proposent à Jacques Drescher l'idée de reprendre le flambeau de l'ancien supplément.
(…)
L'impression est confiée à l'imprimerie Linden, la mise en page à l'agence Tiramisu. (…)
Romain Lenertz et Guy W. Stoos sont prévus comme "cartoonistes". (…)
Les titres, destinés à attirer l'attention et à inciter à la lecture sont généralement accrocheurs, parfois provocants ou même racoleurs. Dans certain cas, les titres (à prendre au second degré…) frôlent le scabreux ou la scatologie, ils cherchent à provoquer le sensationnel ou le ludique par des injonctions ou interpellations.
Les titres de la rubrique 'Ugeschwat' sont le plus souvent des interpellations directes alors que ceux de la rubrique 'Dee leschte Beschass' sont formés par les surnoms des personnalités sur lesquelles l'article porte.
De la première à la dernière page, toutes sont illustrées par des caricatures, dessins, photos ou images. Les caricaturistes Romain Lenertz et Guy W. Stoos apportent généralement leur interprétation graphique des évènements pour les deux grands articles de la une, la rubrique 'Scheusal der Woche' (trad : 'Monstre, bête de la semaine') et/ou un autre article en page intérieure. (…)
Les structures de propriété
Le Feierkrop est publié par la société coopérative Den Neie Feierkrop dont les statuts ont été déposés au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, le 19 novembre 1993.
Le projet rédactionnel
(…) Psychologiquement et affectivement, le lecteur se sent surtout concerné par ce qui le touche plus ou moins directement, donc les décisions nationales ou les faux-pas des hommes politiques qu'il connaît. Si le lecteur ne le connaît pas encore, un personnage ou un événement maltraité dans le Feierkrop connaît rapidement une notoriété grandissante. Ce fait explique 'l'engouement' que certaines personnalités publiques témoignent à l'égard de l'hebdomadaire satirique et du fait d'y être nommé.
Le choix des sujets et fortement influencé par la 'culture' luxembourgeoise, la 'façon de faire et de vivre' des Luxembourgeois. La sélection se fait d'une part en respectant que certains appellent 'l'identité nationale', d'autre part en se basant sur celle-ci pour mieux s'en moquer. Le chauvinisme de certains sujets et articles, délibérément ridiculisé par l'exagération, est une des formes de ce choix.
Fidèle à la tradition de 'l'ancien' Feierkrop et d'une certaine partie de la presse populaire, Den Neie Feierkrop reste attaché à une ligne anti allemande désuète qui, en fait, ironise sur cette attitude populiste (au sens péjoratif). Den Neie Feierkrop porte aussi une attention toute particulière aux informations qui concernent le monde religieux, notamment national. Son anticléricalisme virulent se traduit par une constante surveillance des faits et gestes de l'église catholique et du Luxemburger Wort.
Les informations reprises dans le Feierkrop ont, en majorité, un lien direct avec la politique au sens large. Les décisions importantes sont commentées sans aucune indulgence, l'attitude belliqueuse se dirige néanmoins contre toutes les idéologies et institutions, sans exception.
L'orientation politique et surtout idéologique du Den Neie Feierkrop est ouvertement de gauche. Mais l'hebdomadaire est indépendant de tout parti, quel qu'il soit. En fait, il n'est absolument pas politiquement neutre, mais 'simplement' opposé à tous les partis, syndicats, institutions et pouvoirs.
(…)
En se concentrant sur la satire de l'actualité politique, Den Neie Feierkrop ne fait pas réellement de différences sociales, mais s'adresse plus à un public 'averti' en cette matière.
Cependant, par la critique constante des hommes politiques, il se place indirectement du côté des 'gens simples', de ceux qui n'ont pas le même pouvoir de décision. Le choix des informations reflète cette attitude, cette dernière est pourtant contredite par une critique tout aussi constante de l'électorat moyen.
Extraits de " Den neie Feierkrop - La nouveauté de la presse luxembourgeoise " de Jean-Claude Olivier, mémoire présenté en vue de l'obtention du titre de licencié en Journalisme et Communication, Orientation, Communication des Entreprises à l'Université Libre de Bruxelles, Faculté de Philosophie et Lettres,
Année académique 1995-1996.